En mars dernier, les éditions espagnoles Capitan Swing publient le nouveau livre de Luna Miguel: Le doigt. Quelques notes à propos de la masturbation féminine.
À 25 ans, cette jeune auteure espagnole a déjà un CV impressionnant : rédactrice pour différents magazines dont le célèbre El Pais, directrice éditoriale, auteure de 5 livres de poésie et de différents contes et essais. Son dernier livre oscille entre poésie et essai, entre littérature et journalisme. Une hybridation profondément personnelle et politique, à l’image du sujet traité : la masturbation féminine. Ce moment intime, encore aujourd’hui tabou, est revendiqué comme acte activiste.
C’est un livre essentiel qui dépeint la masturbation féminine avec passion et engagement, avec tristesse aussi parfois. Entre deux interviews de celles qu’elle appelle ses «héroïnes » (América Valenzuela, Marisol Salanova, Sara Uribe, Amarna Miller), Luna Miguel raconte ses premiers souvenirs de plaisir solitaire teintés de honte. Elle dresse, chapitre après chapitre, un historique de l’hystérie féminine, et repense la littérature féminine abordant l’acte délictueux.
De fait, dans une bonne partie des poèmes écrits par des femmes, centrés sur le corporel et le sexuel, ce qui se dégage est une humanité incroyable, c’est-à-dire, une volonté de traiter des thèmes universels – la peur, la haine, la tristesse, l’amour – à travers ce que nous connaissons le mieux, et qui n’est rien d’autre que notre propre peau. Et même si ce sont le vagin, le doigt ou le godemiché qui sont protagonistes, ce qui est réellement abordé ici est quelque chose de beaucoup plus commun : la stimulation du corps comme arme contre la tristesse.
Traduction personnelle du Chapitre 9 « Les mains humides de la poésie » (p.34)
Luna Miguel, peu de temps avant la sortie officielle de son nouveau livre, publie la couverture de l’ouvrage sur son mur facebook. L’illustration, graphique et minimaliste, n’a rien d’explicite: on y voit une courbe bleue, accompagnée d’une main rose. Pourtant, l’auteure est dénoncée par un de ses «amis», pour contenu obscène ou offensif. En moins de dix minutes, le réseau social ferme son compte. Le géant américain, se passant d’explications raisonnables, lui envoie un message automatique annonçant que «pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons vous informer des raisons pour lesquelles votre compte est désormais inactif». Devant le déferlement de journalistes et d’anonymes qui rapportent l’information et dénoncent la censure, le réseau social rouvre le compte de Luna Miguel peu de temps après, sans un mot d’excuse ou une explication.
Finalement, cette censure lui est favorable, car elle permet de promouvoir son livre bien au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer. Sur son blog, elle revient sur la polémique, en remerciant la grande mobilisation de la part du public:
Je suis sûre que cette concession [de la part de facebook] est due principalement à tout votre soutien. Depuis les grands médias espagnols jusqu’aux journaux, revues et blogs du Pérou, de Colombie, du Mexique, du Royaume-Uni et de France, la nouvelle a largement circulé, et autant les amis les plus proches comme des centaines de personnes que je ne connaissais absolument pas, ont crié et réussi à faire entendre l’affaire. Je vous suis très reconnaissante.
Et elle conclut, avec l’impertinence qui la caractérise :
Maintenant, je promets de bien me porter… Mais à ma manière, bien sûr.
Traduction personnelle de l’article «A propos de la censure et de l’autoplaisir» du 8 mars 2016